« Le plan Juncker peut jouer un rôle crucial pour transformer les start-up européennes en licornes »

Stéphane Valorge et Thomas Neveux, associés de Clipperton Finance, estiment que la dimension européenne sera fondamentale pour assurer l’avenir du capital-risque.

Source (accès réservé aux abonnés) – Interview réalisée par Jean Rognetta

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C.F. : Le capital-risque mûrit-il en Europe aussi vite qu’en France ?

S.V. : Peut-être même plus vite encore. Au total, l’enveloppe déployée par les VCs croît de manière exponentielle – soit + 38 % en 2014, à 7,8 Md$. Mais les tours de table d’envergure prennent de plus en plus d’ampleur. Selon le décompte que nous tenons avec WhoGotFunded, les opérations de plus de 30 M$ correspondaient à 36 % du total en valeur en 2013, avant que celui-ci soit porté à 48 % l’an passé. T.N. : La crise financière a conduit les LPs à se concentrer sur les équipes qui avaient les meilleurs résultats, en leur confiant des engagements de plus en plus importants. Accel Partners, Balderton, Index Ventures ou, en France, Idinvest Partners, Partech Ventures et Sofi nnova Partners ont la capacité de structurer la chaîne de financement de manière beaucoup plus importante qu’auparavant, en intervenant dès l’amorçage et en remontant beaucoup plus haut…

C.F. : Les fonds transeuropéens qui pourraient émerger du plan Juncker sont-ils à même d’accélérer cette maturité ?

T.N. : Sans aucun doute. Le financement public de l’innovation joue un rôle extrêmement important des deux côtés de l’Atlantique. Aux Etats-Unis, les Etats constituent des LPs puissants, que ce soit directement ou via les fonds de pension de leurs fonctionnaires. En Europe, il reste compliqué de boucler un deal d’une valeur unitaire supérieure à 30 M€. Un équivalent européen de l’ancien FSI, intégré à bpifrance, pourrait jouer un rôle déterminant pour transformer les start-up européennes en licornes !

C.F. : Est-ce bien réaliste ? Les licornes, ce ne sont que six ou sept sociétés américaines qui ont dépassé les 10 Md$ de valorisation…

T.N. : Depuis les débuts d’Internet, les EtatsUnis ont montré une capacité de fi nancement supérieure à celles de l’Europe par un facteur 10. Aujourd’hui, une douzaine de sociétés européennes affichent une valorisation de plus d’un milliard d’euros : Spotify, Rocket Internet, Zalando, JustIt, Funding Circle… et en France, Criteo.

C.F. : N’y a-t-il pas une grande disparité entre la France et l’Allemagne ?

S.V. : Oui, absolument. L’inconscient collectif fait penser que la domination allemande s’étend partout. Mais dans ce secteur, c’est inexact : le marché du financement allemand reste plus petit en taille et moins structuré qu’ailleurs. Alors qu’en France les FCPI ont soutenu le marché après l’explosion de la bulle et qu’en Grande-Bretagne la place financière a vite rebondi, le capital-risque allemand a vécu une véritable bérézina, avec la disparition de grands fonds comme TVM. Le résultat, c’est que la place germanique s’est reconstruite à sa manière…

C.F. : Comment analysez-vous la structuration du marché allemand ?

S.V. : D’une part, le marché allemand est extrêmement ouvert aux fonds internationaux. Sequoia a ainsi récemment orchestré l’opération sur 6Wunderkinder. Et il n’y a que les VCs américains qui sont aux manettes. A l’instar de XAnge PE, de Seventure Partners, d’Omnes Capital, d’Idinvest Partners, de Partech Ventures, ou encore de Ventech, de nombreux capital-risqueurs tricolores sont désormais implantés outre-Rhin. D’autre part, ce marché s’est structuré avec des caractéristiques tout à fait germaniques, en reproduisant le modèle du Mittelstand, où des ETI financent leur écosystème. On voit ainsi à l’œuvre de nombreux fonds de corporate venture, comme HoltzBrinck et eVentures, et d’autres qui en sont issus, comme Acton Capital. Et surtout, le modèle de Rocket Internet n’a pas d’équivalent ailleurs en Europe : un accélérateur capable d’investir lui-même plus de 100 M€ dans une start-up… C’est le premier holding industriel de l’Internet européen. Et il continue de faire des émules, comme project A.

C.F. : A l’inverse, le corporate venture est beaucoup plus timide en France…

T.N. : C’est exact. Mais il faut espérer que la mesure d’amortissement sur le capital-investissement d’entreprises permette à la France de combler son retard.